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çois ? combien de plaies sur ton corps ! Attends, que je les compte. En voilà vingt-trois !

César. — Tu seras bien surpris quand tu sauras que j’ai été percé de tant de coups au milieu du sénat par mes meilleurs amis. Quelle trahison !

Caton. — Non, je n’en suis point surpris. N’étais-tu pas le tyran de tes amis aussi bien que du reste des citoyens ? Ne devaient-ils pas prêter leur bras à la vengeance de la patrie opprimée ? Il faudrait immoler non seulement son ami, mais encore son propre frère, à l’exemple de Timoléon, et ses propres enfants, comme fit l’ancien Brutus.

César. — Un de ses descendants n’a que trop suivi cette belle leçon. C’est Brutus que j’aimais tant, et qui passait pour être mon fils, qui a été le chef de la conjuration pour me massacrer.

Caton. — Ô heureux Brutus, qui a rendu Rome libre, et qui a consacré ses mains dans le sang d’un nouveau Tarquin, plus impie et plus superbe que celui qui fut chassé par Junius !

César. — Tu as toujours été prévenu contre moi et outré dans tes maximes de vertu.

Caton. — Qu’est-ce qui m’a prévenu contre toi ? Ta vie dissolue, prodigue, artificieuse, efféminée ; tes dettes, tes brigues, ton audace ; voilà ce qui a prévenu Caton contre cet homme dont la ceinture, la robe traînante, l’air de mollesse ne promettaient rien qui fût digne des anciennes mœurs. Tu ne m’as point trompé, je t’ai connu dès ta jeunesse. Oh ! si l’on m’avait cru !…

César. — Tu m’aurais enveloppé dans la conjuration de Catilina pour me perdre.

Caton. — Alors tu vivais en femme, et tu n’étais homme que contre ta patrie. Que ne fis-je point