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l’autorité par ma vieillesse et par ma vertu : pouvais-je me taire ?

Scipion. — Mais pourquoi être encore le délateur universel à quatre-vingt-dix ans ? C’est un beau métier à cet âge !

Caton. — C’est le métier d’un homme qui n’a rien perdu de sa vigueur, ni de son zèle pour la république, et qui se sacrifie pour l’amour d’elle à la haine des grands, qui veulent être impunément dans le désordre.

Scipion. — Mais tu as été accusé aussi souvent que tu as accusé les autres. Il me semble que tu l’as été jusqu’à cinquante fois, et jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans.

Caton. — Il est vrai, et je m’en glorifie. Il n’était pas possible que les méchants ne fissent, par des calomnies, une guerre continuelle à un homme qui ne leur a jamais rien pardonné.

Scipion. — Ce ne fut pas sans peine que tu te défendis contre les dernières accusations.

Caton. — Je l’avoue ; faut-il s’en étonner ? Il est bien malaisé de rendre compte de toute sa vie devant des hommes d’un autre siècle que celui où l’on a vécu. J’étais un pauvre vieillard exposé aux insultes de la jeunesse, qui croyait que je radotais, et qui comptait pour des fables tout ce que j’avais fait autrefois. Quand je le racontais, ils ne faisaient que bâiller et se moquer de moi, comme d’un homme qui se louait sans cesse.

Scipion. — Ils n’avaient pas grand tort. Mais enfin pourquoi aimais-tu tant à reprendre les autres ? Tu étais comme un chien qui aboie contre tous les passants.

Caton. — J’ai trouvé toute ma vie que j’apprenais