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nous la connaissions déjà ; car tu l’as souvent faite, et plusieurs morts venus ici depuis vingt ans me l’avaient racontée pour me réjouir. Mais, mon pauvre Caton, ce n’est pas devant moi qu’il faut parler ainsi ; je connais l’Espagne et tes belles conquêtes.

Caton. — Il est certain que quatre cents villes se rendirent presque en même temps ; et tu n’en as jamais tant fait.

Scipion. — Carthage seul vaut mieux que tes quatre cents villages.

Caton. — Mais que diras-tu de ce que je fis sous Manius Acilius, pour aller, au travers des précipices, surprendre Antiochus dans les montagnes entre la Macédoine et la Thessalie ?

Scipion. — J’approuve cette action, et il serait injuste de lui refuser des louanges. On t’en doit aussi pour avoir réprimé les mauvaises mœurs. Mais on ne te peut excuser sur ton avarice sordide.

Caton. — Tu parles ainsi parce que c’est toi qui as accoutumé les soldats à vivre délicieusement. Mais il faut se représenter que je me suis vu dans une république qui se corrompait tous les jours. Les dépenses y augmentaient sans mesure. On y achetait un poisson plus cher qu’un bœuf n’avait été vendu quand j’entrai dans les affaires publiques. Il est vrai que les choses qui étaient au plus bas prix me paraissaient encore trop chères quand elles étaient inutiles. Je disais aux Romains : « À quoi vous sert de gouverner les nations, si vos femmes vaines et corrompues vous gouvernent ? » Avais-je tort de parler ainsi ? On vivait sans pudeur ; chacun se ruinait, et vivait avec toute sorte de bassesse et de mauvaise foi, pour avoir de quoi soutenir ses folles dépenses. J’étais censeur ; j’avais acquis de