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le condamner à une amende, et de vouloir le faire prendre par des licteurs.

Caton. — Il le méritait bien ; et toi, qui avais…

Scipion. — Pour moi, je pris mon parti avec courage. Quand je vis que le peuple se tournait contre moi, au lieu de répondre à l’accusation, je dis : « Allons au Capitole remercier les dieux de ce qu’en un jour semblable à celui-ci je vainquis Annibal et les Carthaginois. » Après quoi je ne m’exposai plus à la fortune ; je me retirai à Linternum, loin d’une patrie ingrate, dans une solitude tranquille, et respecté de tous les honnêtes gens, où j’attendis la mort en philosophe. Voilà ce que Caton, censeur implacable, me contraignit de faire. Voilà de quoi je demande justice.

Caton. — Tu me reproches ce qui fait ma gloire. Je n’ai épargné personne pour la justice. J’ai fait trembler tous les plus illustres Romains. Je voyais combien les mœurs se corrompaient de jour en jour par le faste et par les délices. Par exemple, peut-on me refuser d’immortelles louanges pour avoir chassé du sénat Lucius Quintius, qui avait été consul, et qui était frère de T. Q. Flaminius, vainqueur de Philippe, roi de Macédoine, qui eut la cruauté de faire tuer un homme devant un jeune garçon qu’il aimait, pour contenter la curiosité de cet enfant par un si horrible spectacle !

Scipion. — J’avoue que cette action est juste, et que tu as souvent puni le crime. Mais tu étais trop ardent contre tout le monde ; et quand tu avais fait une bonne action, tu t’en vantais trop grossièrement. Te souviens-tu d’avoir dit une fois que Rome te devait plus que tu ne devais à Rome ?