Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux timides dans leur politique ; d’ailleurs Fabius ne savait que sa vieille méthode de temporiser à la guerre, d’éviter les batailles, de camper dans les nues, d’attendre que les ennemis se consumassent d’eux-mêmes. Caton, qui aimait par pédanterie les vieilles gens, s’attacha à Fabius, et fut jaloux de moi, parce que j’étais jeune et hardi. Mais la principale cause de son entêtement fut son avarice : il voulait qu’on fît la guerre avec épargne, comme il plantait ses choux et ses oignons. Pour moi, je voulais qu’on fît vivement la guerre, pour la finir bientôt avec avantage ; qu’on regardât, non ce qu’il en coûterait, mais les actions que je ferais. Le pauvre Caton était désolé ; car il voulait toujours gouverner la république comme sa petite chaumière, et remporter des victoires à juste prix. Il ne voyait pas que le dessein de Fabius ne pouvait réussir. Jamais il n’aurait chassé Annibal d’Italie. Annibal était assez habile pour y subsister toujours aux dépens du pays, et pour conserver des alliés ; il aurait même toujours fait venir de nouvelles troupes d’Afrique par mer. Si Néron n’eût défait Annibal avant qu’il pût se joindre à son frère, tout était perdu ; Fabius le temporiseur eût été mal dans ses affaires. Cependant Rome, pressée de si près par un tel ennemi, aurait succombé à la longue. Mais Caton ne voyait point cette nécessité de faire une puissante diversion pour transporter à Carthage la guerre qu’Annibal avait su porter jusqu’à Rome. Je demande donc réparation de tous les torts que Caton a eus contre moi, et des persécutions qu’il a faites à ma famille.

Caton. — Et moi je demande récompense d’avoir soutenu la justice et le bien public contre ton frère