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république de hasarder de nouveaux combats. Il fallait relever le courage de nos troupes, les accoutumer à vos armes, à vos éléphants, à vos ruses, à votre ordre de bataille ; vous laisser amollir dans les plaisirs de Capoue, et attendre que vous usassiez peu à peu vos forces.

Annibal. — Mais cependant vous vous déshonoriez par votre timidité. Belle ressource pour la patrie, après tant de malheurs, qu’un capitaine qui n’ose rien tenter, qui a peur de son ombre comme un lièvre, qui ne trouve point de rochers assez escarpés pour y faire grimper ses troupes toujours tremblantes ! C’était entretenir la lâcheté dans votre camp, et augmenter l’audace dans le mien.

Fabius. — Il valait mieux se déshonorer par cette lâcheté, que faire massacrer toute la fleur des Romains, comme Térentius Varro le fit à Cannes. Ce qui aboutit à sauver la patrie et à rendre les victoires des ennemis inutiles ne peut déshonorer un capitaine ; on voit qu’il a préféré le salut public à sa propre réputation, qui lui est plus chère que sa vie, et ce sacrifice de sa réputation doit lui en attirer une grande : encore même n’est-il pas question de sa réputation ; il ne s’agit que des discours téméraires de certains critiques qui n’ont pas des vues assez étendues pour prévoir de loin combien cette manière lente de faire la guerre sera enfin avantageuse. Il faut laisser parler les gens qui ne regardent que ce qui est présent et que ce qui brille. Quand vous aurez, par votre patience, obtenu un bon succès, les gens mêmes qui vous ont le plus condamné seront le plus empressés à vous applaudir. Ils ne jugent que par les