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il n’y aurait plus aucune société fixe et réglée sur la terre.

Coriolanus. — Il est vrai ; je conçois qu’on doit regarder comme une vraie mère cette société qui nous a donné la naissance, les mœurs, la nourriture ; qui a acquis de si grands droits sur nous par nos parents et par nos amis qu’elle porte dans son sein. Je veux bien qu’on lui doive ce qu’on doit à une mère ; mais…

Camillus. — Si ma mère m’avait abandonné et maltraité, pourrais-je la méconnaître et la combattre ?

Coriolanus. — Non ; mais vous pourriez…

Camillus. — Pourrais-je la mépriser et l’abandonner, si elle revenait à moi et me montrait un vrai déplaisir de m’avoir maltraité ?

Coriolanus. — Non.

Camillus. — Il faut donc être toujours tout prêt à reprendre les sentiments de la nature pour sa patrie, ou plutôt ne les perdre jamais, et revenir à son service toutes les fois qu’elle vous en ouvre le chemin.

Coriolanus. — J’avoue que ce parti me paraît le meilleur ; mais la fierté et le dépit d’un homme qu’on a poussé à bout ne lui laissent pas faire tant de réflexions. Le peuple romain insolent foulait aux pieds les patriciens ; je ne pus souffrir cette indignité : le peuple furieux me contraignit de me retirer chez les Volsques. Quand je fus là, mon ressentiment et le désir de me faire valoir chez ce peuple ennemi des Romains m’engagèrent à prendre les armes contre mon pays. Vous m’avez fait voir, mon cher Furius, qu’il aurait fallu demeurer paisible dans mon malheur.