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pour y vivre ; encore même est-on en droit de le punir selon les lois de la nation, s’il s’y est agrégé et qu’il n’y vive pas selon les mœurs de la république. Mais les enfants qui naissent dans un pays ne choisissent point leur patrie : les dieux la leur donnent, ou plutôt les donnent à cette société d’hommes qui est leur patrie, afin que cette patrie les possède, les gouverne, les récompense, les punisse comme ses enfants. Ce n’est point le choix, la police, l’art, l’institution arbitraire, qui assujettit les enfants à un père ; c’est la nature qui l’a décidé. Les pères joints ensemble font la patrie et ont une pleine autorité sur les enfants qu’ils ont mis au monde. Oseriez-vous en douter ?

Coriolanus. — Oui, je l’ose. Quoiqu’un homme soit mon père, je suis un homme aussi bien que lui et aussi libre que lui par la règle essentielle de l’humanité. Je lui dois de la reconnaissance et du respect ; mais enfin la nature ne m’a point fait dépendant de lui.

Camillus. — Vous établissez là de belles règles pour la vertu ! Chacun se croira en droit de vivre selon ses pensées ; il n’y aura plus sur la terre ni police, ni sûreté, ni subordination, ni société réglée, ni principes certains de bonnes mœurs.

Coriolanus. — Il y aura toujours la raison et la vertu imprimées, par la nature dans le cœur des hommes. S’ils abusent de leur liberté, tant pis pour eux ; mais, quoique leur liberté mal prise puisse se tourner en libertinage, il est pourtant certain que par leur nature ils sont libres.

Camillus. — J’en conviens. Mais il faut avouer aussi que tous les hommes les plus sages, ayant senti l’inconvénient de cette liberté, qui ferait