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dre, l’un et l’autre, qu’au destin ou, si vous voulez, à la fortune, qui nous a fait naître dans des temps si corrompus, qu’il était impossible de redresser nos républiques, ni même d’empêcher leur ruine.

Démosthène. — C’est en quoi nous avons manqué de jugement, entreprenant l’impossible ; car ce n’est point notre peuple qui nous a forcés à prendre soin des affaires publiques, et nous n’y étions point engagés par notre naissance. Je pardonne à un prince né dans la pourpre de gouverner le moins mal qu’il peut un État que les dieux lui ont confié en le faisant naître d’une certaine race, puisqu’il ne lui est pas libre de l’abandonner, en quelque mauvais état qu’il se trouve ; mais un simple particulier ne doit songer qu’à se régler lui-même, et gouverner sa famille ; il ne doit jamais désirer les charges publiques, moins encore les rechercher. Si on le force à les prendre, il peut les accepter par l’amour de la patrie ; mais dès qu’il voit qu’il n’a plus la liberté de bien faire, et que ses citoyens n’écoutent plus les lois ni la raison, il doit rentrer dans la vie privée et se contenter de déplorer les calamités publiques qu’il ne peut détourner.

Cicéron. — À votre compte, mon ami Pomponius Atticus était plus sage que moi et que Caton même, que nous avons tant vanté.

Démosthène. — Oui, sans doute. Atticus était un vrai philosophe. Caton s’opiniâtra mal à propos à vouloir redresser un peuple qui ne voulait plus vivre en liberté, et vous cédâtes trop facilement à la fortune de César ; du moins vous ne conservâtes pas assez votre dignité.

Cicéron. — Mais enfin l’éloquence n’est-elle pas une bonne chose et un grand présent des dieux ?