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fort tranquillement, et apparemment tes auditeurs ne t’interrompaient pas.

Démosthène. — Ce que tu dis de nous deux est vrai : tu ne te trompes que dans la conclusion que tu en tires. Tu occupais l’assemblée de toi-même ; et moi je ne l’occupais que des affaires dont je parlais. On t’admirait ; et moi j’étais oublié par mes auditeurs, qui ne voyaient que le parti que je voulais leur faire prendre. Tu réjouissais par les traits de ton esprit ; et moi je frappais, j’abattais, j’atterrais par des coups de foudre. Tu faisais dire : « Ah ! qu’il parle bien ! » et moi je faisais dire : « Allons, marchons contre Philippe ! » On te louait ; on était trop hors de soi pour me louer quand je haranguais. Tu paraissais orné, on ne découvrait en moi aucun ornement ; il n’y avait dans mes pièces que des raisons précises, fortes, claires, ensuite des mouvements semblables à des foudres auxquels on ne pouvait résister. Tu as été un orateur parfait quand tu as été, comme moi, simple, grave, austère, sans art apparent, en un mot, quand tu as été démosthénique ; et lorsqu’on a senti en tes discours l’esprit, le tour et l’art, alors tu n’étais que Cicéron, t’éloignant de la perfection autant que tu t’éloignais de mon caractère.