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Pyrrhon. — Il est vrai, si quelque chose le peut être.

Le voisin. — Ignorer et douter, c’est la même chose ; douter et penser sont encore la même chose : donc vous ne pouvez douter sans penser. Votre doute est donc la preuve certaine que vous pensez : donc il y a quelque chose de certain, puisque votre doute même prouve la certitude de votre pensée.

Pyrrhon. — J’ignore même mon ignorance. Vous voilà bien attrapé.

Le voisin. — Si vous ignorez votre ignorance, pourquoi en parlez-vous ? pourquoi la défendez-vous ? pourquoi voulez-vous la persuader à vos disciples, et les détromper de tout ce qu’ils ont jamais cru ? Si vous ignorez jusqu’à votre ignorance, il n’en faut plus donner des leçons, ni mépriser ceux qui croient savoir la vérité.

Pyrrhon. — Toute la vie n’est peut-être qu’un songe continuel. Peut-être que le moment de la mort sera un réveil soudain, où l’on découvrira l’illusion de tout ce que l’on a cru de plus réel, comme un homme qui s’éveille voit disparaître tous les fantômes qu’il croyait voir et toucher pendant ses songes.

Le voisin. — Vous craignez donc de dormir et de rêver les yeux ouverts ? Vous dites de toutes choses, Peut-être ; mais ce peut-être que vous dites est une pensée. Votre songe, tout faux qu’il est, est pourtant le songe d’un homme qui rêve. Tout au moins il est sûr que vous rêvez ; car il faut être quelque chose et quelque chose de pensant, pour avoir des songes. Le néant ne peut ni dormir, ni rêver, ni se tromper, ni ignorer, ni