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ombres ne meurent point : te voilà immortel, mais autrement que tu ne l’avais prétendu. Il faut te résoudre à n’être qu’une ombre comme moi, et comme le dernier des hommes. Tu ne trouveras plus ici de provinces à ravager, ni de rois à fouler aux pieds, ni de palais à brûler dans ton ivresse, ni de fables ridicules à conter, pour te vanter d’être le fils de Jupiter.

Alexandre. — Tu me traites comme un misérable.

Clitus. — Non, je te reconnais pour un grand conquérant, d’un naturel sublime, mais gâté par de trop grands succès. Te dire la vérité par affection, est-ce t’offenser ? Si la vérité t’offense, retourne sur la terre chercher tes flatteurs.

Alexandre. — À quoi donc me servira toute ma gloire, si Clitus même ne m’épargne pas ?

Clitus. — C’est ton emportement qui a terni ta gloire parmi les vivants. Veux-tu la conserver pure dans les enfers, il faut être modeste avec des ombres qui n’ont rien à perdre ni à gagner avec toi.

Alexandre. — Mais tu disais que tu m’aimais.

Clitus. — Oui, j’aime ta personne sans aimer tes défauts.

Alexandre. — Si tu m’aimes, épargne-moi.

Clitus. — Parce que je t’aime, je ne t’épargnerai point. Quand tu parus si chaste à la vue de la femme et de la fille de Darius, quand tu montras tant de générosité pour ce prince vaincu, tu méritas de grandes louanges ; je te les donne. Ensuite la gloire te fit tourner la tête. Je te quitte, adieu.