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plus délicats que les autres hommes ; ils ne veulent voir que des gens contents d’eux, qui les flattent, et qui fassent semblant de les admirer. Mais il n’est plus temps d’être délicat sur les bords du Styx. Il fallait quitter cette délicatesse en quittant la grandeur royale. Tu n’as plus rien à donner ici, et tu ne trouveras plus de flatteurs.

Alexandre. — Ah ! quel malheur ! sur la terre j’étais un dieu, ici je ne suis qu’une ombre, et on m’y reproche sans pitié mes fautes.

Clitus. — Pourquoi les faisais-tu ?

Alexandre. — Quand je te tuai, j’avais trop bu.

Clitus. — Voilà une belle excuse pour un héros et pour un dieu ! Celui qui devait être assez raisonnable pour gouverner la terre entière perdait, par l’ivresse, toute sa raison, et se rendait semblable à une bête féroce. Mais, avoue de bonne foi la vérité, tu étais encore plus enivré par la mauvaise gloire et par la colère que par le vin ; tu ne pouvais souffrir que je condamnasse ta vanité qui te faisait recevoir les honneurs divins, et publier les services qu’on t’avait rendus. Réponds-moi ; je ne crains plus que tu me tues.

Alexandre. — Ô dieux cruels, que ne puis-je me venger de vous ! Mais, hélas ! je ne puis pas même me venger de cette ombre de Clitus, qui vient m’insulter brutalement.

Clitus. — Te voilà aussi colère et aussi fougueux que tu l’étais parmi les vivants. Mais personne ne te craint ici ; pour moi, tu me fais pitié.

Alexandre. — Quoi ! le grand Alexandre fait pitié à un homme vil tel que Clitus ! Que ne puis-je ou le tuer ou me tuer moi-même !

Clitus. — Tu ne peux plus ni l’un ni l’autre ; les