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tout ce qui est bon, et que la raison, qui devrait croître en eux avec l’âge, semble s’enfuir dès qu’ils sont entrés dans les affaires ?

Aristote. — En effet, ta jeunesse fut merveilleuse : tu entretenais avec politesse les ambassadeurs qui venaient chez Philippe ; tu aimais les lettres, tu lisais les poètes ; tu étais charmé d’Homère ; ton cœur s’enflammait au récit des vertus et des grandes actions des héros. Quand tu pris Thèbes, tu respectas la maison de Pindare ; ensuite tu allas, en entrant dans l’Asie, voir le tombeau d’Achille et les ruines de Troie. Tout cela marque un naturel humain et sensible aux belles choses. On vit encore ce beau naturel quand tu confias ta vie au médecin Philippe ; mais surtout lorsque tu traitas si bien la famille de Darius, que ce roi mourant se consolait dans son malheur, pensant que tu serais le père de sa famille. Voilà ce que la philosophie et le beau naturel avaient mis en toi. Mais le reste, je n’ose le dire…

Alexandre. — Dis, dis, mon cher Aristote ; tu n’as plus rien à ménager.

Aristote. — Ce faste, ces mollesses, ces soupçons, ces cruautés, ces colères, ces emportements furieux contre tes amis, cette crédulité pour les lâches flatteurs qui t’appelaient un dieu…

Alexandre. — Ah ! tu dis vrai. Je voudrais être mort après avoir vaincu Darius.

Aristote. — Quoi ! tu voudrais n’avoir point subjugué le reste de l’Orient ?

Alexandre. — Cette conquête m’est moins glorieuse qu’il ne m’est honteux d’avoir succombé à mes prospérités, et d’avoir oublié la condition humaine. Mais, dis-moi donc, d’où vient qu’on est