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Aristote. — Mais tu avais un peu négligé mes préceptes, quand la trop grande prospérité enivra ton cœur.

Alexandre. — Je l’avoue : tu sais bien que je suis sincère. Maintenant que je ne suis plus que l’ombre d’Alexandre, je reconnais qu’Alexandre était trop hautain et trop superbe pour un mortel.

Aristote. — Tu n’avais point pris mon Magnanime pour te servir de modèle.

Alexandre. — Je n’avais garde : ton Magnanime n’est qu’un pédant ; il n’a rien de vrai ni de naturel ; il est guindé et outré en tout.

Aristote. — Mais n’étais-tu pas outré dans ton héroïsme ? Pleurer de n’avoir pas encore subjugué un monde, quand on disait qu’il y en avait plusieurs ; parcourir des royaumes immenses pour les rendre à leurs rois après les avoir vaincus ; ravager l’univers pour faire parler de soi ; se jeter seul sur les remparts d’une ville ennemie ; vouloir passer pour une divinité ! Tu es plus outré que mon Magnanime.

Alexandre. — Me voilà donc revenu à ton école ? Tu me dis toutes mes vérités comme si nous étions encore à Pella. Il n’aurait pas été trop sûr de me parler si librement sur les bords de l’Euphrate ; mais sur les bords du Styx on écoute un censeur plus patiemment. Dis-moi donc, mon pauvre Aristote, toi qui sais tout, d’où vient que certains princes sont si jolis dans leur enfance, et qu’ensuite ils oublient toutes les bonnes maximes qu’ils ont apprises, lorsqu’il serait question d’en faire quelque usage ? À quoi sert-il qu’ils parlent dans leur jeunesse comme des perroquets, pour approuver