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citoyens, ou abandonner la rigueur des peines, pour tâcher de se faire aimer. Quand les peuples vous aiment, vous n’avez plus besoin de gardes ; vous êtes au milieu de votre peuple comme un père qui ne craint rien au milieu de ses propres enfants.

Denys. — Je me souviens que tu me disais toutes ces raisons, quand je fus sur le point de quitter la tyrannie pour être ton disciple ; mais un flatteur m’en empêcha. Il faut avouer qu’il est bien difficile de renoncer à la puissance souveraine.

Platon. — N’aurait-il pas mieux valu la quitter volontairement pour être philosophe, que d’en être honteusement dépossédé pour aller gagner sa vie à Corinthe par le métier de maître d’école ?

Denys. — Mais je ne prévoyais pas qu’on me chasserait.

Platon. — Hé ! comment pouvais-tu espérer de demeurer le maître en un lieu où tu avais mis tout le monde dans la nécessité de te perdre pour éviter ta cruauté ?

Denys. — J’espérais qu’on n’oserait jamais m’attaquer.

Platon. — Quand les hommes risquent davantage en vous laissant vivre qu’en vous attaquant, il s’en trouve toujours qui vous préviennent : vos propres gardes ne peuvent sauver leur vie qu’en vous arrachant la vôtre. Mais parle-moi franchement : n’as-tu pas vécu avec plus de douceur dans ta pauvreté de Corinthe que dans ta splendeur de Syracuse ?

Denys. — À Corinthe, le maître d’école mangeait et donnait assez bien ; le tyran, à Syracuse, avait toujours des craintes et des défiances : il fallait égorger quelqu’un, ravir des trésors, faire