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Dion. — Redis-le-moi de grâce, car la bonne fortune me l’a fait oublier.

Gélon. — Il ne faut pas que l’homme règne ; il faut qu’il se contente de faire régner les lois. S’il prend la royauté pour lui, il la gâte et se perd lui-même ; il ne doit l’exercer que pour le maintien des lois et le bien des peuples.

Dion. — Cela est bien aisé à dire, mais difficile à faire.

Gélon. — Difficile, il est vrai, mais non pas impossible. Celui qui en parle l’a fait comme il te le dit. Je ne cherchai point l’autorité ; elle me vint chercher ; je la craignis ; j’en connus tous les embarras ; je ne l’acceptai que pour le bien des hommes. Je ne leur fis jamais sentir que j’étais le maître ; je leur fis seulement sentir qu’eux et moi nous devions céder à la raison et à la justice. Une vieillesse respectée, une mort qui a mis toute la Sicile en deuil, une réputation sans tache et éternelle, une vertu récompensée ici-bas par le bonheur des Champs Élyséens, sont le fruit de cette philosophie si longtemps conservée sur le trône.

Dion. — Hélas ! je savais tout ce que tu me dis ; je prétendais en faire autant ; mais je ne me défiais point de mes passions, et elles m’ont perdu. De grâce, souffre que je ne te quitte plus.

Gélon. — Non, tu ne peux être admis parmi ces âmes bienheureuses qui ont bien gouverné. Adieu.