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Denys. — Pourquoi dis-tu donc qu’il ne serait pas juste qu’il mourût au lieu de toi ?

Pythias. — Il est également injuste à toi de faire mourir Damon ou bien de me faire mourir ; mais Pythias serait injuste s’il laissait souffrir à Damon une mort que le tyran n’a préparée qu’à Pythias.

Denys. — Tu ne viens donc, au jour marqué, que pour sauver la vie à ton ami, en perdant la tienne ?

Pythias. — Je viens à ton égard souffrir une injustice qui est ordinaire aux tyrans, et à l’égard de Damon faire une action de justice en le retirant d’un péril où il s’est mis par générosité pour moi.

Denys. — Et toi, Damon, ne craignais-tu pas, dis la vérité, que Pythias ne reviendrait point et que tu payerais pour lui ?

Damon. — Je ne savais que trop que Pythias reviendrait ponctuellement, et qu’il craindrait bien plus de manquer à sa parole que de perdre la vie. Plût aux dieux que ses proches et ses amis l’eussent retenu malgré lui ! maintenant il serait la consolation des gens de bien, et j’aurais celle de mourir pour lui.

Denys. — Quoi ! la vie te déplaît-elle ?

Damon. — Oui, elle me déplaît quand je vois un tyran.

Denys. — Eh bien ! tu ne le verras plus. Je vais te faire mourir tout à l’heure.

Pythias. — Excuse le transport d’un homme qui regrette son ami prêt à mourir ; mais souviens-toi que c’est moi seul que tu as destiné à la mort. Je viens la souffrir pour dégager mon ami ; ne me refuse pas cette consolation dans ma dernière heure.