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bien enchanter les femmes ne pouvait manquer de sépulture : il a eu des honneurs, des regrets, des larmes, plus qu’il ne méritait.

Alcibiade. — Je prends acte que Mercure a vu mes cendres dans une urne. Maintenant je somme Charon de me recevoir dans sa barque ; il n’est plus en droit de me refuser.

Mercure. — Je le plains d’avoir à se charger de toi. Méchant homme, tu as mis le feu partout : c’est toi qui as allumé cette horrible guerre dans toute la Grèce. Tu es cause que les Athéniens et les Lacédémoniens ont été vingt-huit ans en armes les uns contre les autres, par mer et par terre.

Alcibiade. — Ce n’est pas moi qui en suis la cause ; il faut s’en prendre à mon oncle Périclès.

Mercure. — Périclès, il est vrai, engagea cette funeste guerre, mais ce fut par ton conseil. Ne te souviens-tu pas d’un jour que tu allas heurter à sa porte ? Ses gens te dirent qu’il n’avait pas le temps de te voir, parce qu’il était embarrassé pour les comptes qu’il devait rendre aux Athéniens de l’administration des revenus de la république. Alors tu répondis : « Au lieu de songer à rendre compte, il ferait bien mieux de songer à quelque expédient pour n’en rendre jamais. » L’expédient, que tu lui fournis fut de brouiller les affaires, d’allumer la guerre, et de tenir le peuple dans la confusion. Périclès fut assez corrompu pour te croire : il alluma la guerre ; il y périt. Ta patrie y est presque périe aussi ; elle y a perdu la liberté. Après cela faut-il s’étonner si Archestrate disait que la Grèce entière n’était pas assez puissante pour supporter deux Alcibiades ? Timon le Misanthrope n’était pas moins plaisant dans son chagrin ; il