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Cérès d’Éleusine. Pour mes figures, je n’en doute point, tu les avais mutilées.

Charon. — Je ne veux point recevoir dans ma barque cet ennemi des dieux, cette peste du genre humain.

Alcibiade. — Il faut bien que tu me reçoives ; où veux-tu donc que j’aille ?

Charon. — Retourne à la lumière, pour tourmenter les vivants et faire encore du bruit sur la terre. C’est ici le séjour du silence et du repos.

Alcibiade. — Hé ! de grâce, ne me laisse point errer sur les rives du Styx comme les morts privés de la sépulture : mon nom a été trop grand parmi les hommes pour recevoir un tel affront. Après tout, puisque j’ai reçu les honneurs funèbres, je puis contraindre Charon à me passer dans sa barque. Si j’ai mal vécu, les juges des enfers me puniront ; mais pour ce vieux fantasque, je l’obligerai bien…

Charon. — Puisque tu le prends sur un ton si haut, je veux savoir comment tu as été inhumé : car on parle de ta mort bien confusément. Les uns disent que tu as été poignardé dans le sein d’une courtisane. Belle mort pour un homme qui fait le grand personnage ! D’autres disent qu’on te brûla. Jusqu’à ce que le fait soit éclairci, je me moque de ta fierté ; non, tu n’entreras point ici.

Alcibiade. — Je n’aurai point de peine à raconter ma dernière aventure ; elle est à mon honneur, et elle couronne une belle vie. Lysandre, sachant combien j’avais fait de mal aux Lacédémoniens en servant ma patrie dans les combats, et en négociant pour elle auprès des Perses, résolut de demander à Pharnabaze de me faire mourir. Ce