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était un grand indolent, toujours craintif et irrésolu. Les gens qui craignent tant ont plus à craindre que les autres ; car ils perdent les avantages que la fortune leur présente, et ils laissent venir tous les inconvénients qu’ils ont prévus. On m’accusa encore d’avoir, par dérision, avec les libertins, représenté dans une débauche les mystères de Cérès. On disait que j’y faisais le principal personnage, qui était celui du sacrificateur : mais tout cela, chansons ; on ne pouvait m’en convaincre.

Mercure. — Chansons ! D’où vient donc que tu n’osas jamais te présenter, et répondre aux accusations ?

Alcibiade. — Je me serais livré à eux, s’il eût été question de toute autre chose : mais comme il s’agissait de ma vie, je ne l’aurais pas confiée à ma propre mère.

Mercure. — Voilà une lâche réponse. N’as-tu point de honte de me la faire ? Toi qui savais hasarder ta vie à la merci d’un charretier brutal, dès ta plus tendre enfance, tu n’as point osé mettre ta vie entre les mains des juges pour sauver ton honneur dans un âge mûr ! Ô mon ami, il fallait que tu te sentisses coupable.

Alcibiade. — C’est qu’un enfant qui joue dans un chemin, et qui ne veut pas interrompre son jeu pour laisser passer une charrette, fait par dépit et par mutinerie ce qu’un homme ne fait point par raison. Mais enfin vous direz ce qu’il vous plaira, je craignis mes envieux et la sottise du peuple, qui se met en fureur quand il est question de toutes vos divinités.

Mercure. — Voilà un langage de libertin, et je parierais que tu t’étais moqué des mystères de