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aurait causé des guerres, des carnages, des désolations qui nous auraient envoyé ici bien des ombres. Pour la sienne, elle me fait peur. Comment s’appelle-t-il ?

Mercure. — Alcibiade. N’en as-tu point ouï parler ?

Charon. — Alcibiade ! Hé ! toutes les ombres qui viennent me rompent la tête à force de m’en entretenir. Il m’a donné bien de la peine avec tous ces morts qu’il a fait périr en tant de guerres. N’est-ce pas lui qui, s’étant réfugié à Sparte, après les impiétés qu’il avait faites à Athènes, corrompit la femme du roi Agis ?

Mercure. — C’est lui-même.

Charon. — Je crains qu’il ne fasse de même avec Proserpine, car il est plus joli et plus flatteur que notre roi Pluton. Mais Pluton n’entend pas raillerie.

Mercure. — Je te le livre tel qu’il est. S’il fait autant de fracas aux enfers qu’il en a fait toute sa vie sur la terre, ce ne sera plus ici le royaume du silence. Mais demande-lui un peu comment il fera. Ho ! Alcibiade, dis à Charon comment tu prétends faire ici-bas.

Alcibiade. — Moi, je prétends y ménager tout le monde. Je conseille à Charon de doubler son droit de péage, à Pluton de faire la guerre contre Jupiter pour être le premier des dieux, attendu que Jupiter gouverne mal les hommes, et que l’empire des morts est plus étendu que celui des vivants. Que fait-il là-haut dans son Olympe, où il laisse toutes choses sur la terre aller de travers ? Il vaut bien mieux reconnaître pour souverain de toutes les divinités celui qui punit ici-bas les crimes, et qui redresse tout ce que son frère, par son indolence,