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à la poésie, à la musique, aux raisonnements subtils, au récit des grandes actions ?

Périclès. — Tu sais bien que si l’éloquence avait ici quelque pouvoir, sans vanité, ma condition devrait être aussi bonne que celle d’un autre : mais on ne gagne rien ici à parler. Ces traits flatteurs qui enlevaient le peuple d’Athènes, ces tours convaincants, ces manières insinuantes qui prennent les hommes par leurs commodités et par leurs passions, ne sont plus d’usage ici : les oreilles y sont bouchées, et les cœurs de fer. Moi qui suis mort dans cette malheureuse guerre du Péloponèse, je ne laisse pas d’en être puni. On devrait bien me pardonner une faute qui m’a coûté la vie ; et même c’est toi qui me la fis faire.

Alcibiade. — Il est vrai que je te conseillai d’engager la guerre plutôt que de rendre compte. N’est-ce pas ainsi que l’on fait toujours, quand on gouverne un État ? On commence par soi, par sa commodité, sa réputation, son intérêt : le public va comme il peut ; autrement quel serait le sot qui se donnerait la peine de gouverner, et de veiller nuit et jour pour faire bien dormir les autres ? Est-ce que vos juges d’ici trouvent cela mauvais ?

Périclès. — Oui ; si mauvais, qu’après être mort de la peste dans cette maudite guerre, où je perdis la confiance du peuple, j’ai souffert ici de grands supplices pour avoir troublé la paix mal à propos. Juge par là, mon pauvre neveu, si tu en seras quitte à bon marché.

Alcibiade. — Voilà de mauvaises nouvelles. Les vivants, quand ils sont bien fâchés, disent : « Je voudrais être mort » ; et moi, je dirais volontiers au contraire : « Je voudrais me porter bien. »