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qui est la mauvaise volonté ? Si sa maladie n’était qu’au pied ou à la main, vous le plaindriez ; et vous ne le plaignez pas lorsqu’elle a gangrené le fond de son cœur !

Timon. — Eh bien ! je conviens qu’il faut plaindre les méchants, mais non pas les aimer.

Socrate. — Il ne faut pas les aimer pour leur malice, mais il faut les aimer pour les en guérir. Vous aimez donc les hommes sans croire les aimer ; car la compassion est un amour qui s’afflige du mal de la personne qu’on aime. Savez-vous bien ce qui vous empêche d’aimer les méchants ? Ce n’est pas votre vertu, mais c’est l’imperfection de la vertu qui est en vous. La vertu imparfaite succombe dans le support des imperfections d’autrui. On s’aime encore trop soi-même pour pouvoir toujours supporter ce qui est contraire à son goût et à ses maximes. L’amour-propre ne veut non plus être contredit pour la vertu que pour le vice. On s’irrite contre les ingrats, parce qu’on veut de la reconnaissance par amour-propre. La vertu parfaite détache l’homme de lui-même, et fait qu’il ne se lasse point de supporter la faiblesse des autres. Plus on est loin du vice, plus on est patient et tranquille pour s’appliquer à le guérir. La vertu imparfaite est ombrageuse, critique, âpre, sévère et implacable. La vertu qui ne cherche plus que le bien est toujours égale, douce, affable, compatissante ; elle n’est surprise ni choquée de rien ; elle prend tout sur elle, et ne songe qu’à faire du bien.

Timon. — Tout cela est bien aisé à dire, mais difficile à faire.

Socrate. — Ô mon cher Timon ! les hommes grossiers et aveugles croient que vous êtes misan-