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hommes, c’est être une divinité bienfaisante sur la terre. L’ambition d’Alcibiade est pernicieuse ; mais votre misanthropie est une vertu faible, qui est mêlée d’un chagrin de tempérament. Vous êtes plus sauvage que détaché ; votre vertu âpre et impatiente ne sait pas assez supporter le vice d’autrui ; c’est un amour de soi-même, qui fait qu’on s’impatiente quand on ne peut réduire les autres au point qu’on voudrait. La philanthropie est une vertu douce, patiente et désintéressée, qui supporte le mal sans l’approuver. Elle attend les hommes ; elle ne donne rien à son goût ni à sa commodité. Elle se sert de la connaissance de sa propre faiblesse pour supporter celle d’autrui. Elle n’est jamais dupe des hommes les plus trompeurs et les plus ingrats, car elle n’espère ni ne veut rien d’eux pour son propre intérêt ; elle ne leur demande rien que pour leur bien véritable. Elle ne se lasse jamais dans cette bonté désintéressée ; et elle imite les dieux, qui ont donné aux hommes la vie sans avoir besoin de leur encens ni de leurs victimes.

Timon. — Mais je ne hais point les hommes par inhumanité : je ne les hais que malgré moi, parce qu’ils sont haïssables. C’est leur dépravation que je hais, et leurs personnes, parce qu’elles sont dépravées.

Socrate. — Eh bien ! je le suppose. Mais si vous ne haïssez dans l’homme que le mal, pourquoi n’aimez-vous pas l’homme pour le délivrer de ce mal, et pour le rendre bon ? Le médecin hait la fièvre et toutes les autres maladies qui tourmentent les corps des hommes ; mais il ne hait point les malades. Les vices sont les maladies des âmes :