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reste est vision et bile noire qu’il faudrait purger avec un peu d’ellébore.

Timon. — Parler ainsi, c’est anéantir la vertu et tourner en ridicule les bonnes mœurs. On ne souffrirait pas un homme si contagieux dans une république bien policée ; mais, hélas ! où est-elle ici-bas, cette république ? Ô mon pauvre Socrate ! la vôtre, quand la verrons-nous ? Demain, oui, demain, je m’y retirerais si elle était commencée ; mais je voudrais que nous allassions, loin de toutes les terres connues, fonder cette heureuse colonie de philosophes purs dans l’île Atlantique.

Alcibiade. — Hé ! vous ne songez pas que vous vous y porteriez. Il faudrait auparavant vous réconcilier avec vous-même, avec qui vous dites que vous êtes si souvent brouillé.

Timon. — Vous avez beau vous en moquer, rien n’est plus sérieux. Oui, je le soutiens, que je me hais souvent, et que j’ai raison de me haïr. Quand je me trouve amolli par les plaisirs, jusqu’à supporter les vices des hommes, et prêt à leur complaire ; quand je sens réveiller en moi l’intérêt, la volupté, la sensibilité pour une vaine réputation parmi les sots et les méchants, je me trouve presque semblable à eux, je me fais mon procès, je m’abhorre, et je ne puis me supporter.

Alcibiade. — Qui est-ce qui fait ensuite votre accommodement ? Le faites-vous tête à tête avec vous-même sans arbitre ?

Timon. — C’est qu’après m’être condamné, je me redresse et je me corrige.

Alcibiade. — Il y a donc bien des gens chez vous ! Un homme corrompu et entraîné par les mauvais exemples ; un second qui gronde le