Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aux hommes que la vie. Lycurgue est donc louable d’avoir banni de sa république tous les arts qui ne servent qu’au faste et à la volupté ; mais il est inexcusable d’en avoir ôté l’agriculture et les autres arts nécessaires pour une vie simple et frugale. N’est-il pas honteux qu’un peuple ne se suffise pas à lui-même, et qu’il lui faille un autre peuple appliqué à l’agriculture pour le nourrir ?

Alcibiade. — Eh bien ! je passe condamnation sur ce chapitre. Mais n’aimez-vous pas mieux la sévère discipline de Sparte et l’inviolable subordination qui y soumet la jeunesse aux vieillards que la licence effrénée d’Athènes ?

Socrate. — Un peuple gâté par une liberté trop excessive est le plus insupportable de tous les tyrans ; ainsi l’anarchie n’est le comble des maux qu’à cause qu’elle est le plus extrême despotisme : la populace soulevée contre les lois est le plus insolent de tous les maîtres. Mais il faut un milieu. Ce milieu est qu’un peuple ait des lois écrites, toujours constantes et consacrées par toute la nation ; qu’elles soient au-dessus de tout ; que ceux qui gouvernent n’aient d’autorité que par elles ; qu’ils puissent tout pour le bien et suivant les lois ; qu’ils ne puissent rien contre les lois pour autoriser le mal. Voilà ce que les hommes, s’ils n’étaient pas aveugles et ennemis d’eux-mêmes, établiraient unanimement pour leur félicité. Mais les uns, comme les Athéniens, renversent les lois, de peur de donner trop d’autorité aux magistrats, par qui les lois devraient régner, et les autres, comme les Perses, par un respect superstitieux des lois, se mettent dans un tel esclavage sous ceux qui devraient faire régner les lois, que ceux-ci règnent