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dans un éternel oubli, il faudrait cacher à la postérité que des hommes ont été capables de tuer d’autres hommes. Toutes les guerres sont civiles ; car c’est toujours l’homme contre l’homme qui répand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles. Plus la guerre est étendue, plus elle est funeste ; donc celle des peuples qui composent le genre humain est encore pire que celle des familles qui troublent une nation. Il n’est donc permis de faire la guerre que malgré soi, à la dernière extrémité, pour repousser la violence de l’ennemi. Comment est-ce que Lycurgue n’a point eu d’horreur de former un peuple oisif et imbécile pour toutes les occupations douces et innocentes de la paix, et de ne lui avoir donné d’autres exercices d’esprit et de corps que celui de nuire par la guerre à l’humanité ?

Alcibiade. — Votre bile s’échauffe avec raison ; mais aimeriez-vous mieux un peuple comme celui d’Athènes, qui raffine jusqu’au dernier excès sur tous les arts destinés à la volupté ? Il vaut encore mieux souffrir des naturels farouches et violents comme ceux de Lacédémone.

Socrate. — Vous voilà bien changé ! vous n’êtes plus cet homme si décrié dans une ville si décriée ; les bords du Styx font de beaux changements ! Mais peut-être que vous parlez ainsi par complaisance, car vous avez été toute votre vie un protée sur les mœurs. Quoi qu’il en soit, j’avoue qu’un peuple qui par la contagion de ses mœurs porte le faste, la mollesse, l’injustice et la fraude chez les autres peuples, fait encore pis que celui qui n’a d’autre occupation ni d’autre mérite que celui de répandre du sang ; car la vertu est plus précieuse