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Alcibiade. — Je m’imagine, mon cher Socrate, que tu n’as pas oublié aussi cette autre occasion où, nos troupes ayant été défaites, tu te retirais à pied avec beaucoup de peine, et où, me trouvant à cheval, je m’arrêtai pour repousser les ennemis qui t’allaient accabler. Faisons compensation.

Socrate. — Je le veux. Si je rappelle ce que j’ai fait pour toi, ce n’est point pour te le reprocher ni pour me faire valoir ; c’est pour montrer les soins que j’ai pris pour te rendre bon, et combien tu as mal répondu à toutes mes peines.

Alcibiade. — Tu n’as rien à dire contre ma première jeunesse. Souvent, en écoutant tes instructions, je m’attendrissais jusqu’à en pleurer. Si quelquefois je t’échappais, étant entraîné par les compagnies, tu courais après moi comme un maître après son esclave fugitif. Jamais je n’ai osé te résister. Je n’écoutais que toi ; je ne craignais que de te déplaire. Il est vrai que je fis une gageure un jour de donner un soufflet à Hipponicus. Je le lui donnai, ensuite j’allai lui demander pardon et me dépouiller devant lui afin qu’il me punît avec des verges ; mais il me pardonna, voyant que je ne l’avais offensé que par la légèreté de mon naturel enjoué et folâtre.

Socrate. — Alors tu n’avais commis que la faute d’un jeune fou ; mais dans la suite tu as fait les crimes d’un scélérat qui ne compte pour rien les dieux, qui se joue de la vertu et de la bonne foi, qui met sa patrie en cendres pour contenter son ambition, qui porte dans toutes les nations étrangères des mœurs dissolues. Va, tu me fais horreur et pitié. Tu étais fait pour être bon et tu as voulu être méchant ; je ne puis m’en consoler. Séparons-