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Solon. — Il fallait m’aider à modérer la liberté du peuple en établissant mes lois, et non pas renverser les lois pour tyranniser le peuple. Tu as fait comme un père qui, pour rendre son fils modéré et docile, le vendrait pour lui faire passer sa vie dans l’esclavage.

Pisistrate. — Mais les Athéniens sont trop jaloux de leur liberté.

Solon. — Il est vrai que les Athéniens sont jusqu’à l’excès jaloux d’une liberté qui leur appartient : mais toi, n’étais-tu pas encore plus jaloux d’une tyrannie qui ne pouvait t’appartenir ?

Pisistrate. — Je souffrais impatiemment de voir le peuple à la merci des sophistes et des rhéteurs, qui prévalaient sur les gens sages.

Solon. — Il valait mieux encore que les sophistes et les rhéteurs abusassent quelquefois le peuple par leurs raisonnements et par leur éloquence, que de te voir fermer la bouche des bons et des mauvais conseillers, pour n’écouter plus que tes propres passions. Mais quelle douceur goûtais-tu dans cette puissance ? Quel est donc le charme de la tyrannie ?

Pisistrate. — C’est d’être craint de tout le monde, de ne craindre personne, et de pouvoir tout.

Solon. — Insensé ! tu avais tout à craindre, et tu l’as bien éprouvé quand tu es tombé du haut de ta fortune, et que tu as eu tant de peine à te relever. Tu le sens encore dans tes enfants. Qui est-ce qui avait le plus à craindre, ou de toi, ou des Athéniens, qui, portant le joug de la servitude, ne laissaient pas de vivre en paix dans leurs familles et avec leurs voisins ; ou de toi, qui devais toujours craindre d’être trahi, dépossédé et puni de ton usur-