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bien éprouvé, vous qui avez dans votre emportement tué votre propre frère et qui vous êtes rendu insupportable à tous vos citoyens.

Romulus. — Puisque vous avez vécu si longtemps, il fallait que vous eussiez une bonne et fidèle garde autour de vous.

Numa. — Point du tout ; je commençai par me défaire des trois cents gardes que vous aviez choisis et nommés célères. Un homme qui accepte avec peine la royauté, qui ne la veut que pour le bien public et qui serait content de la quitter, n’a point à craindre la mort comme un tyran. Pour moi, je croyais faire une grâce aux Romains de les gouverner ; je vivais pauvrement pour enrichir le peuple ; toutes les nations voisines auraient souhaité d’être sous ma conduite. En cet état, faut-il des gardes ? Pour moi, pauvre mortel, personne n’avait d’intérêt à me donner l’immortalité dont le sénat vous jugea digne. Ma garde était l’amitié des citoyens, qui me regardaient tous comme leur père. Un roi ne peut-il pas confier sa vie à un peuple qui lui confie ses biens, son repos, sa conservation ? La confiance est égale des deux côtés.

Romulus. — À vous entendre on croirait que vous avez été roi malgré vous. Mais vous avez là-dessus trompé le peuple, comme vous lui avez imposé sur la religion.

Numa. — On m’est venu chercher dans ma solitude de Cures. D’abord j’ai représenté que je n’étais point propre à gouverner un peuple belliqueux, accoutumé à des conquêtes ; qu’il leur fallait un Romulus toujours prêt à vaincre. J’ajoutai que la mort de Tatius et la vôtre ne me don-