Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/190

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pièces. Ils aimèrent mieux m’invoquer comme dieu que de m’obéir comme à leur roi.

Numa. — Quoi donc ! ce que Proculus raconta n’est pas vrai ?

Romulus. — Hé ! ne savez-vous pas combien on fait accroire de choses au peuple ? Vous en êtes plus instruit qu’un autre, vous qui lui avez persuadé que vous étiez inspiré par la nymphe Égérie. Proculus, voyant le peuple irrité de ma mort, voulut le consoler par une fable. Les hommes aiment à être trompés ; la flatterie apaise les plus grandes douleurs.

Numa. — Vous n’avez donc eu pour toute immortalité que des coups de poignard ?

Romulus. — Mais j’ai eu des autels, des prêtres, des victimes et de l’encens.

Numa. — Mais cet encens ne guérit de rien ; vous n’en êtes pas moins ici une ombre vaine et impuissante, sans espérance de revoir jamais la lumière du jour. Vous voyez donc qu’il n’y a rien de si solide que d’être bon, juste, modéré, aimé des peuples ; on vit longtemps, on est toujours en paix. À la vérité, on n’a point d’encens, on ne passe point pour immortel ; mais on se porte bien, on règne longtemps sans trouble et on fait beaucoup de bien aux hommes qu’on gouverne.

Romulus. — Vous qui avez vécu si longtemps, vous n’étiez pas jeune quand vous avez commencé à régner.

Numa. — J’avais quarante ans, et ç’a été mon bonheur. Si j’eusse commencé à régner plus tôt, j’aurais été sans expérience et sans sagesse, exposé à toutes mes passions. La puissance est trop dangereuse quand on est jeune et ardent. Vous l’avez