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gloire d’avoir fondé une ville éternelle, avec un empire qui n’aura d’autres bornes que celles de l’univers ; j’ai vaincu les peuples voisins ; j’ai formé une nation invincible d’une foule de criminels réfugiés. Qu’as-tu fait qu’on puisse comparer à ces merveilles ?

Tatius. — Belles merveilles ! assembler des voleurs, des scélérats, se faire chef de bandits, ravager impunément les pays voisins, enlever des femmes par trahison, n’avoir pour loi que la fraude et la violence, massacrer son propre frère ; voilà ce que j’avoue que je n’ai point fait. Ta ville durera tant qu’il plaira aux dieux ; mais elle est élevée sur de mauvais fondements. Pour ton empire, il pourra aisément s’étendre, car tu n’as appris à tes citoyens qu’à usurper le bien d’autrui : ils ont grand besoin d’être gouvernés par un roi plus modéré et plus juste que toi. Aussi dit-on que Numa, mon gendre, t’a succédé : il est sage, juste, religieux, bienfaisant. C’est justement l’homme qu’il faut pour redresser ta république et réparer tes fautes.

Romulus. — Il est aisé de passer sa vie à juger des procès, à apaiser des querelles, à faire observer une police dans une ville ; c’est une conduite faible et une vie obscure : mais remporter des victoires, faire des conquêtes, voilà ce qui fait les héros.

Tatius. — Bon ! voilà un étrange héroïsme, qui n’aboutit qu’à assassiner les gens dont on est jaloux !

Romulus. — Comment, assassiner ! je vois bien que tu me soupçonnes de t’avoir fait tuer.

Tatius. — Je ne t’en soupçonne nullement, car je n’en doute point ; j’en suis sûr. Il y avait long-