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peuple, c’est ce qui est réservé à certaines âmes choisies que le ciel a voulu séparer des autres. Le peuple n’est capable que de certaines vertus d’habitude et d’opinion, sur l’autorité de ceux qui ont gagné sa confiance. Encore une fois, je crois que telle fut la vertu de vos anciens Chinois. De telles gens sont justes dans les choses où on les a accoutumés à mettre une règle de justice, et point en d’autres plus importantes où l’habitude de juger de même leur manque. On sera juste pour son concitoyen, et inhumain contre son esclave ; zélé pour sa patrie, et conquérant injuste contre un peuple voisin, sans songer que la terre entière n’est qu’une seule patrie commune, où tous les hommes des divers peuples devraient vivre comme une seule famille. Ces vertus, fondées sur la coutume et les préjugés d’un peuple, sont toujours des vertus estropiées, faute de remonter jusqu’aux premiers principes qui donnent dans toute son étendue la véritable idée de la justice et de la vertu. Ces mêmes peuples, qui paraissent si vertueux dans certains sentiments et dans certaines actions détachées, avaient une religion aussi remplie de fraude, d’injustice et d’impureté, que leurs lois étaient justes et austères. Quel mélange ! quelle contradiction ! Voilà pourtant ce qu’il y a eu de meilleur dans ces peuples tant vantés ; voilà l’humanité regardée par sa plus belle face.

Confucius. — Peut-être avons-nous été plus heureux que vous, car la vertu a été grande dans la Chine.

Socrate. — On le dit ; mais pour en être assuré par une voie non suspecte, il faudrait que les Européens connussent de près votre histoire, comme ils