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rien pour moi. Il ne me faut ni cuisinier, ni barbier, ni tailleur, ni architecte. Me voilà libre et content à peu de frais. Pourquoi me rengager dans les besoins des hommes ?

Ulysse. — Il est vrai que l’homme a de grands besoins ; mais les arts qu’il a inventés pour satisfaire à ces besoins se tournent à sa gloire et font ses délices.

Grillus. — Il est plus simple et plus sûr d’être exempt de tous ces besoins, que d’avoir les moyens les plus merveilleux d’y remédier. Il vaut mieux jouir d’une santé parfaite sans aucune science de la médecine, que d’être toujours malade avec d’excellents remèdes pour se guérir.

Ulysse. — Mais, mon cher Grillus, vous ne comptez donc plus pour rien l’éloquence, la poésie, la musique, la science des astres et du monde entier, celle des figures et des nombres ! Avez-vous renoncé à notre chère patrie, aux sacrifices, aux festins, aux jeux, aux danses, aux combats, et aux couronnes qui servent de prix aux vainqueurs ? Répondez.

Grillus. — Mon tempérament de cochon est si heureux, qu’il me met au-dessus de toutes ces belles choses. J’aime mieux grogner, que d’être aussi éloquent que vous. Ce qui me dégoûte de l’éloquence, c’est que la vôtre même, qui égale celle de Mercure, ne me persuade ni ne me touche. Je ne veux persuader personne ; je n’ai que faire d’être persuadé. Je suis aussi peu curieux de vers que de prose ; tout cela est devenu viande creuse pour moi. Pour les combats du ceste, de la lutte et des chariots, je les laisse volontiers à ceux qui sont passionnés pour une couronne, comme les