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VI

ULYSSE ET GRILLUS


Lorsque Ulysse délivra ses compagnons, et qu’il contraignit Circé de leur rendre leur première forme, chacun d’eux fut dépouillé de la figure d’un animal, dont Circé l’avait revêtu par l’enchantement de sa verge d’or[1]. Il n’y eut que Grillus, qui était devenu pourceau, qui ne put jamais se résoudre à redevenir homme. Ulysse employa inutilement toute son éloquence pour lui persuader qu’il devait rentrer dans son premier état. Plutarque a parlé de cette fable ; et j’ai cru que c’était un sujet propre à faire un dialogue, pour montrer que les hommes seraient pires que les bêtes, si la solide philosophie et la vraie religion ne les soutenaient.


Ulysse. — N’êtes-vous pas bien aise, mon cher Grillus, de me revoir, et d’être en état de reprendre votre ancienne forme ?

Grillus. — Je suis bien aise de vous voir, favori de Minerve ; mais, pour le changement de forme, vous m’en dispenserez, s’il vous plaît.

Ulysse. — Hélas ! mon pauvre enfant, savez-vous bien comment vous êtes fait ? Assurément vous n’avez point la taille belle ; un gros corps courbé vers la terre, de longues oreilles pendantes, de petits yeux à peine entr’ouverts, un groin

  1. Voyez Homère, Odyss., liv. X.