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pas fait de plus grandes folies pour Briséis, quand tu quittas le camp des Grecs, et fus cause de la mort de ton ami Patrocle ?

Achille. — Oui ; mais quand j’y retournai, je vengeai Patrocle et je vainquis Hector. Qui as-tu vaincu en ta vie, si ce n’est Irus, ce gueux d’Ithaque ?

Ulysse. — Et les amants de Pénélope, et le cyclope Polyphème !

Achille. — Tu as pris les amants en trahison : c’étaient des hommes amollis par les plaisirs, et presque toujours ivres. Pour Polyphème, tu n’en devrais jamais parler. Si tu eusses osé l’attendre, il t’aurait fait payer bien chèrement l’œil que tu lui crevas pendant son sommeil.

Ulysse. — Mais enfin j’ai essuyé pendant vingt ans, au siège de Troie et dans mes voyages, tous les dangers et tous les malheurs qui peuvent exercer le courage et la sagesse d’un homme. Mais qu’as-tu jamais eu à conduire ? Il n’y avait en toi qu’une impétuosité folle, et une fureur que les hommes grossiers ont nommée courage. La main du lâche Pâris en est venue à bout.

Achille. — Mais toi, qui te vantes de ta prudence, ne t’es-tu pas fait tuer sottement par ton propre fils Télégone, qui te naquit de Circé ? Tu n’eus pas la précaution de te faire reconnaître par lui. Voilà un plaisant sage, pour me traiter de fou !

Ulysse. — Va, je te laisse avec l’ombre d’Ajax, aussi brutal que toi, et aussi jaloux de ma gloire.