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Chiron. — Mes instructions sur la vertu ne sont donc pas à mépriser.

Achille. — Je l’avoue ; mais, pour en profiter, je voudrais retourner au monde.

Chiron. — Qu’y ferais-tu cette seconde fois ?

Achille. — Qu’est-ce que j’y ferais ? j’éviterais la querelle que j’eus avec Agamemnon ; par là j’épargnerais la vie de mon ami Patrocle, et le sang de tant d’autres Grecs que je laissai périr sous le glaive cruel des Troyens, pendant que je me roulais de désespoir sur le sable du rivage, comme un insensé.

Chiron. — Mais ne t’avais-je pas prédit que ta colère te ferait faire toutes ces folies ?

Achille. — Il est vrai, tu me l’avais dit cent fois ; mais la jeunesse écoute-t-elle ce qu’on lui dit ? Elle ne croit que ce qu’elle voit. Oh ! si je pouvais redevenir jeune !

Chiron. — Tu redeviendrais emporté et indocile.

Achille. — Non, je te le promets.

Chiron. — Hé ! ne m’avais-tu pas promis cent et cent fois, dans mon antre de Thessalie, de te modérer quand tu serais au siège de Troie ? L’as-tu fait ?

Achille. — J’avoue que non.

Chiron. — Tu ne le ferais pas mieux quand tu redeviendrais jeune ; tu promettrais comme tu promets, et tu tiendrais ta promesse comme tu l’as tenue.

Achille. — La jeunesse est donc une étrange maladie !

Chiron. — Tu voudrais pourtant encore en être malade.