fortes inclinations ne sont-elles pas celles qu’on a prises à cet âge ? Tout cela ne prouve-t-il pas que les premières impressions et les premières habitudes sont les plus fortes ? Si l’enfance est propre à graver des images dans le cerveau, il faut avouer qu’elle l’est moins au raisonnement. Cette humidité du cerveau qui rend les impressions faciles, étant jointe à une grande chaleur, fait une agitation qui empêche toute application suivie.
Le cerveau des enfants est comme une bougie allumée dans un lieu exposé au vent : sa lumière vacille toujours. L’enfant vous fait une question ; et, avant que vous répondiez, ses yeux s’enlèvent vers le plancher, il compte toutes les figures qui y sont peintes, ou tous les morceaux de vitres qui sont aux fenêtres : si vous voulez le ramener à son premier objet, vous le gênez comme si vous le teniez en prison. Ainsi il faut ménager avec grand soin les organes, en attendant qu’ils s’affermissent : répondez-lui promptement à sa question, et laissez-lui en faire d’autres à son gré. Entretenez seulement sa curiosité, et faites dans sa mémoire un amas de bons matériaux : viendra le temps qu’ils s’assembleront d’eux-mêmes, et que, le cerveau ayant plus de consistance, l’enfant raisonnera de suite. Cependant bornez-vous à le redresser quand il ne raisonnera pas juste, et à lui faire sentir sans empressement, selon les ouvertures qu’il vous donnera, ce que c’est que tirer droit une conséquence.
Laissez donc jouer un enfant, et mêlez l’instruction avec le jeu ; que la sagesse ne se montre à lui que par intervalle, et avec un visage riant ; gardez-vous de le fatiguer par une exactitude indiscrète. Si l’enfant se fait une idée triste et sombre de la vertu, si la liberté et le dérèglement se présentent à lui sous une figure agréable, tout est perdu, vous travaillez en vain. Ne le laissez jamais flatter par de petits esprits, ou par des gens sans règle : on s’accoutume à aimer les mœurs et les sentiments