Page:Fénélon - Oeuvres complètes, Tome XVII, 1830.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

enseigne la finesse, qu’ils n’oublient jamais ; il faut les mener par la raison autant qu’on peut.

Mais examinons de plus près l’état des enfants, pour voir plus en détail ce qui leur convient. La substance de leur cerveau est molle, et elle se durcit tous les jours ; pour leur esprit, il ne sait rien, tout lui est nouveau. Cette mollesse du cerveau fait que tout s’y imprime facilement, et la surprise de nouveauté fait qu’ils admirent aisément et qu’ils sont fort curieux. Il est vrai aussi que cette humidité et cette mollesse du cerveau, jointe à une grande chaleur, lui donne un mouvement facile et continuel. De là vient cette agitation des enfants, qui ne peuvent arrêter leur esprit à aucun objet, non plus que leur corps en aucun lieu.

D’un autre côté, les enfants ne sachant encore rien penser ni faire d’eux-mêmes, ils remarquent tout ; et ils parlent peu, si on ne les accoutume à parler beaucoup, et c’est de quoi il faut bien se garder. Souvent le plaisir qu’on veut tirer des jolis enfants les gâte ; on les accoutume à hasarder tout ce qui leur vient dans l’esprit, et à parler des choses dont ils n’ont pas encore des connaissances distinctes : il leur en reste toute leur vie l’habitude de juger avec précipitation et de dire des choses dont ils n’ont point d’idées claires ; ce qui fait un très mauvais caractère d’esprit.

Ce plaisir qu’on veut tirer des enfants produit encore un effet pernicieux : ils aperçoivent qu’on les regarde avec complaisance, qu’on observe tout ce qu’ils font, qu’on les écoute avec plaisir ; par là, ils s’accoutument à croire que le monde sera toujours occupé d’eux. Pendant cet âge où l’on est applaudi, et où l’on n’a point encore éprouvé la contradiction, on conçoit des espérances chimériques qui préparent des mécomptes infinis pour toute la vie. J’ai vu des enfants qui croyaient qu’on parlait d’eux toutes les fois qu’on parlait en secret,