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dès leur plus tendre enfance. Ce premier âge, qu’on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui, par conséquent, a un grand rapport à tout le reste de la vie.

Avant que les enfants sachent entièrement parler, on peut les préparer à l’instruction. On trouvera peut-être que j’en dis trop : mais on n’a qu’à considérer ce que fait l’enfant qui ne parle pas encore ; il apprend une langue qu’il parlera bientôt plus exactement que les savants ne sauroient parler les langues mortes qu’ils ont étudiées avec tant de travail dans l’âge le plus mûr. Mais qu’est-ce qu’apprendre une langue ? Ce n’est pas seulement mettre dans sa mémoire un grand nombre de mots ; c’est encore, dit saint Augustin[1], observer le sens de chacun de ces mots en particulier. L’enfant, dit-il, parmi ses cris et ses jeux, remarque de quel objet chaque parole est le signe : il le fait, tantôt en considérant les mouvements naturels des corps qui touchent ou qui montrent les objets dont on parle, tantôt étant frappé par la fréquente répétition du même mot pour signifier le même objet. Il est vrai que le tempérament du cerveau des enfants leur donne une admirable facilité pour l’impression de toutes ces images : mais quelle attention d’esprit ne faut-il pas pour les discerner, et pour les attacher chacune à son objet ?

Considérez encore combien, dès cet âge, les enfans cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent ; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu’ils souhaitent ; combien ils ont déjà d’artifice et de jalousie. J’ai vu, dit saint Augustin[2], un enfant jaloux : il ne savait pas encore parler ; et déjà, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardoit l’enfant qui tétoit avec lui.

On peut donc compter que les enfants connaissent dès

  1. Confess. lib. i. cap. viii, n. 13 : t. i, p. 74.
  2. Ibid. cap. vii, n. 11 : p. 73.