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LES FÉES DU CYCLE BRETON

femmes gardaient le culte des livres. La femme de Foulques le Noir, comte d’Anjou, vendait chèvres et moutons pour s’en procurer. Il n’est donc pas étonnant que Morgane nous soit représentée comme instruite, mais chez elle le savoir est au service de l’ambition et de l’orgueil. Sensuelle, pédante et capricieuse, elle brille à la cour. Elle étudie sous la direction de Merlin, et sa science est telle qu’on ne la croit presque plus une femme. Robert de Boron ajoute que son éclat se flétrit et que son âme se corrompt. Désormais, selon notre auteur, elle n’apparaîtra plus belle qu’à l’aide d’enchantements ; cependant, d’innombrables légendes nous la montrent encore triomphant par la beauté de toutes les autres fées et de toutes les autres dames.

Elle était charmante, s’il faut en croire le vieux romancier, lorsqu’elle fît la conquête du beau chevalier Guyomar. Cela se passait au palais du roi Arthur de Bretagne, peu de temps après le mariage d’Arthur et de Genièvre. La cour s’était retirée, mais Guyomar, cousin de la reine, demeurait, parlant à Morgane dans une salle basse où elle dévidait du fil d’or pour en faire une coiffe à l’une de ses sœurs. Ces ouvrages étaient appréciés chez les châtelaines, et plus d’une épouse de croisé trompait son attente par l’exécution de merveilleux travaux, en murmurant ces « chansons de toile », faites pour accompagner de pareilles besognes, et qui s’imprégnaient du parfum des cœurs lointains et mélancoliques. Morgane, d’après le très vivant portrait que ce récit nous donne d’elle, chantait bien et parlait mieux encore ; c’était un délice de l’entendre, et toute la cour était sous le charme. On ne savait si l’on devait plus admirer ses magnifiques cheveux que sa