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LES FÉES DU CYCLE BRETON

sépultures de deux hommes et d’une femme : c’étaient, d’après l’inscription du douzième siècle lisible sur un sarcophage, Arthur, la reine Genièvre ou Guanhamara, Mordred, neveu d’Arthur, avec qui, pendant l’absence du monarque, Genièvre avait partagé la régence, et qui l’avait, d’ailleurs, tout à fait consolée de cette absence.

Les hommes du moyen âge trouvaient tout simple que ceux qui s’étaient mortellement offensés ici-bas, fussent ainsi réunis dans la mort. La paix du même tombeau les eût enveloppés. Sans doute les hommes d’alors songeaient que le pardon avait recouvert les fautes anciennes, éteint les vieilles rancunes, et que, de l’éternité, le regard tombant sur la terre embrassait de nouvelles perspectives, aussi différentes de celles de la vie mortelle, que les perspectives de l’âge mûr le sont de celles de l’enfance. Si l’on en croyait ce récit, le triple tombeau de la Noire-Abbaye semblerait un commentaire de l’épithète eschylienne de la mort : παγχοίτης (qui fait tout reposer).

Ce que l’on voulait bien concéder à la légende, c’est que des fées vêtues de blanc étaient venues ensevelir les restes d’Arthur à Noire-Abbaye. Sans doute, elles étaient les sœurs ou les suivantes de Morgane.

Mais aucun stratagème n’eût enlevé du cœur des Bretons leur chère espérance ; pour eux, Arthur demeura dans son île, et l’épée d’Arthur dans son lac, en attendant le jour de la revanche, bien que cette épée eût été solennellement offerte à Richard Cœur de Lion.

Les romanciers et les poètes prirent l’habitude d’envoyer leurs héros dans l’île de Morgane, habitude qui nuisit à la religieuse gravité des chansons