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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

haut s’avise de rapprocher la reine de son ami, et Genièvre devient la maîtresse de Lancelot. Lancelot a donc trahi son suzerain, mais il ne se permet aucune infidélité amoureuse envers la belle reine. Et à une entreprenante damoiselle qui prétendait lui faire oublier son amie, en affirmant que celle-ci ne le saurait pas : « Mon cœur le saurait, dit-il, qui ne fait qu’un avec le sien. »

Viviane connaît tout le roman de son élève. Elle lui a dicté le devoir du vrai chevalier, sans omettre le dévouement à la sainte Église ; mais sa félonie envers Arthur ne la choque pas. Le moyen âge s’égare sur le compte de Lancelot et de Genièvre ; leurs amours l’enivrent, et le vieux conteur ne marchande pas son admiration à la reine coupable, toujours représentée comme une merveille de beauté, un miracle d’esprit, une fleur de loyauté. Certes, on nous donne à penser que certaines mésaventures lui arrivent en guise de châtiment, mais elle porte aussi légèrement la punition que la faute. La philosophie et la morale du siècle nous seront données par Viviane elle-même, et lui serviront à déguiser d’un prestige cette assez vilaine histoire : « Le péché du siècle ne peut être mené sans folie, mais moult a grand confort de sa folie qui raison y trouve, et honneur, et si vous les pouvez trouver en vos amours, cette folie est par-dessus tout honorée, car vous aimez la fleur de toute la chevalerie du monde. »

Cette théorie devait plaire à la romanesque Marie de Champagne, fille de Louis VII et d’Aliénor, qui avait fourni à Chrétien de Troyes le sujet du Conte de la Charrette dont Lancelot est le héros. Elle devait plaire à sa belle-sœur, Aëlis de Champagne, reine de France et femme de Philippe-Auguste, éprise