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LES FÉES DU CYCLE BRETON

en lui volant l’amour de Genièvre ; une telle faute devait révolter les chevaliers, mais les hommes ne sont pas très conséquents avec eux-mêmes ; et comme le Paris du dix-septième siècle, pour la fiancée du Cid avait les yeux de Rodrigue, le moyen âge, pour Lancelot, avait les yeux de Genièvre.

La belle reine avait conquis son cœur par un mot dit sans qu’elle y pensât ; de ces mots qui font à travers le monde tout un mystérieux chemin… À travers le monde ? Peut-être pas, mais à travers le cœur d’un homme. Genièvre a murmuré, penchée vers Lancelot : « Adieu, beau doux ami. » Ce mot a décidé de sa vie ; il a fait de lui un héros de vaillance et un parjure traître à la foi jurée, oubliant que d’Arthur il tenait ses premières armes. Il semble que les mots aient une carrière et une fortune indépendantes de celui ou de celle qui les a semés. À peine Genièvre a-t-elle prononcé ce mot qu’elle ne s’en souvient plus. Mais Lancelot y rêve toujours. « Ce mot, depuis, affirme-t-il, ne m’est pas sorti du cœur. Je ne me suis jamais trouvé en aventure de mort sans m’en souvenir… Ce mot m’a conforté dans tous mes ennuis ; il m’a guéri de toute douleur, sauvé de tout danger… Ce mot m’a nourri dans ma faim, enrichi dans ma pauvreté. — Mais, répondit la reine, je ne le prenais pas tant au sérieux. Souvent je l’ai dit à d’autres chevaliers. » Elle ajoute, surprise et flattée : « Lancelot a vengé en maintes rencontres le chevalier navré, il a sauvé la dame de Nohan ; il a terrassé deux géants, il a pris la douloureuse garde, il a été le mieux faisant de deux assemblées. Tout cela pour un seul mot, le nom de beau doux ami que je lui donnai… »

Jusqu’à présent, c’est parfait. Mais voici que Gale-