Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
LES FÉES DU CYCLE BRETON

d’un trait saisissant, le visage austère et pathétique de notre Bretagne. La complainte berceuse nous dit comment le Duz, par ses maléfices, a séduit la chrétienne ; Merlin, si puissant et si populaire, est une sorte de druide qui s’impose à la Bretagne, mais il constate lui-même le néant de ses prestiges, et, à la voix miséricordieuse d’un aimable saint, il s’agenouille devant le Christ vainqueur. Après la lutte, la victoire finale demeure, en somme, au christianisme.

Avec toutes leurs pierres druidiques, ces paysages bretons paraissent obsédés d’une hantise mystérieuse et indicible, et les croix s’y multiplient, s’acharnent à s’y multiplier, comme pour les délivrer de cette affolante obsession.

Ils se souviennent, semble-t-il, de quelque chose dont les mémoires humaines ont perdu le secret, mais les croix bienfaisantes les apaisent et nous rassurent contre leur terreur. Saint Cadoc triomphe de Merlin, Cadoc le tendre et pieux lecteur de Virgile, Cadoc, dont c’était la vocation de donner pour thème éternel, aux poètes de toute langue, les miséricordes du Seigneur.

Ainsi l’Irlande, l’Écosse et l’Armorique ont chacune envoyé un apôtre au vieux barde en qui s’incarnaient le deuil et l’espérance de la grande et de la petite Bretagne, comme si chaque rameau de l’arbre celtique avait voulu lui tendre une mystique fleur de salut.

Si touchant que nous apparaisse ce battement spécial du cœur des saints celtiques pour les poètes, il faut revenir à des données plus profanes sur Merlin. Ce vieux barde, issu des ruines du paganisme celtique, continua, pendant tout le moyen âge, à inspirer mille songeries. Les laïcs et les clercs s’intéressaient également à lui.