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LES FÉES DU CYCLE BRETON

populaire. Le poème a toute la beauté grave d’un site de l’Armorique : la silhouette de Merlin s’y dresse, orgueilleuse et farouche, comme un menhir, et celle de Cadoc nous apparaît, les bras miséricordieusement étendus en forme de croix.

Les chants populaires du Barzaz-Breiz, relatifs à Merlin et traduits par M. de la Villemarqué, sont au nombre de quatre. Il y a d’abord une berceuse d’allure païenne ; et puis l’histoire d’une vieille magicienne — peut-être une vieille fée — qui s’asservit Merlin par un don de pommes enchantées et l’emmène à la cour d’un roi où se célèbrent des noces. Les deux autres, d’une beauté supérieure, mettent aux prises le paganisme et le christianisme. Peut-être l’un de ces deux poèmes nous traduit-il un premier avertissement de Cadoc, mais, alors, le saint n’est pas nommé. Nous ignorons quelle voix interroge l’enchanteur : « Merlin, Merlin, où allez-vous de si grand matin avec votre chien noir ?… Je vais chercher dans la prairie le cresson vert et l’herbe d’or, et le gui du chêne, dans le bois, au bord de la fontaine… »

Cette herbe d’or est, paraît-il, le selago de Pline ; Chateaubriand se le rappelle, quand il fait dire à Velléda : « J’irai chercher le selago. » Elle se cueillait chez les druides avec des rites minutieux. Chateaubriand, lui-même, en avait peut-être entendu parler par des paysans bretons qui persistaient à lui attribuer des vertus magiques. Mais la grande voix qui interpelle Merlin veut lui dire combien vaine est sa recherche.

« Merlin, Merlin, convertissez-vous, laissez le gui au chêne, et le cresson dans la prairie, comme aussi l’herbe d’or. Merlin, Merlin, convertissez-vous : il n’y a de devin que Dieu. »