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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sur la mort. « Je veux souffrir avec celui-ci », criaient les Océanides, conquises à l’amour de la douleur par le spectacle de Prométhée enchaîné. Ce choix, qui dépasse les horizons du bonheur antique, paraît annoncer le règne futur du christianisme.

Par le spectacle de la souffrance, une âme s’est éveillée chez les Océanides, et, comme la joie païenne est courte, d’un seul élan, cette âme en a dépassé les limites. La Mélusine de Jehan d’Arras et de Couldrette, l’Armide du Tasse, la Chérétane de Gozzi, l’Ondine de Lamotte-Fouqué, la petite Sirène d’Andersen, soit parce qu’elles ont aimé, soit parce qu’elles ont souffert, soit parce qu’elles veulent vivre la vie d’une âme immortelle, aspirent à gagner leur âme : elles choisissent le risque de souffrir, elles acceptent ou désirent la mort. Ainsi rentrent-elles dans l’ordre commun. Loreley et Kundry sont deux fées reconquises par l’ordre. Entre elles il y a quelque ressemblance : l’une obéit au dieu du Rhin, et l’autre au magicien Klingsor : toutes les deux attirent des hommes à leur perte ; toutes les deux s’affranchissent par la pitié de leur mystérieux esclavage, et concourent à la victoire du Christianisme : Loreley qui pardonne dans son cœur, et Kundry qui reçoit le baptême.

Loreley, par un mouvement secret de son cœur, amène des résultats prodigieux : la chute des fausses divinités, le triomphe du bien sur le mal, de la vérité sur le mensonge, de l’amour sur la haine. Un seul mouvement du cœur humain, si secret soit-il, peut mettre en jeu toute une multitude d’invisibles forces, et avoir des répercussions jusque dans l’Infini.

Kundry se trouve enveloppée dans le drame immense qui la dépasse. Elle semble clore un cor-