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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

plainte de la vie qui ressemble à celle de l’Océan sur leurs rivages, celle même qui vibre au fond des phrases sonores de Chateaubriand. Talgesin et Merlin chantent le règne animal : Talgesin décrit la qualité des poissons, et Merlin celle des oiseaux. Ils décrivent l’univers, et n’omettent pas de célébrer l’île heureuse de la fée Morgane. Une légende nous montrera Talgesin et Myrdhin ou Merlin menant Arthur blessé à cette île heureuse ; les Bretons mettent ainsi sous la garde de la poésie leurs traditions héroïques ; et ce voyage fabuleux qui conduit à travers des mers embaumées, sous la surveillance des bardes, leur romanesque héros de fiction, prend je ne sais quel aspect de symbole : la Bretagne désertée ne peut croire à la mort d’Arthur ; elle pleure son héros et ses bardes, mais elle se console de sa tristesse par l’évocation de l’île heureuse où ils se sont attardés… Certains arbres laissent, dit-on, couler un baume de leur blessure : de la blessure d’un peuple s’écoule parfois le baume de la musique et de la poésie.

Merlin a-t-il réellement visité l’île fortunée lorsqu’il accorde à Ganieda son dernier entretien ? On ne le dirait pas. Dans ce Dialogue avec Ganieda, il est le Merlin hagard et souffrant des récits primitifs, celui qui, las des hommes, n’accepte guère de consolation que de la part des étoiles. Ganieda est la sœur de son âme ; elle a eu des fautes, des erreurs, des faiblesses, mais, après la mort de son mari, elle les expie dans la solitude. Elle seule peut, sans l’irriter, effleurer l’âme souffrante de Merlin, puisque leur fraternité reçoit la double consécration de la douleur et de la poésie. Alors, voyant descendre sur ses traits ravagés le crépuscule de la vie, elle lui