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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

se laisse entraîner jusqu’au terme de cette influence.

À Montsalvat, Kundry prévient les ordres et les souhaits des chevaliers du Graal ; chez Klingsor, elle est funeste à ceux qu’elle rencontre. Les chevaliers du Graal ignorent la mystérieuse dualité de son caractère. Pourtant certains d’entre eux gardent une défiance : « C’est une païenne, une magicienne », dit un des écuyers. Auprès de Klingsor, en effet, elle est Alcine, qui amollit les chevaliers ; elle est Armide, qui corrompt et perd les chevaliers de la Croix. Elle habite les jardins féeriques, elle revêt une beauté souveraine et fatale. Elle voudrait résister au mal, servir le bien, mais elle succombe, fait succomber autrui, et rit.

À chaque nouvelle défection des purs chevaliers, à chaque nouvelle victime qui tombe dans ses pièges, elle rit de ce rire maudit qui fait sa honte et son châtiment. Parce qu’elle a ri d’un rire stupide et criminel, il faut qu’elle rie encore ; parce qu’elle a laissé régner sur elle-même les passions, elle n’est pas encore affranchie ; elle est le jouet de ses passions et des volontés étrangères. Elle est, comme toute fée, esclave de la fatalité.

Kundry, repentante, est capable de beaucoup de bien et de beaucoup de mal, mais de plus de mal encore que de bien, de beaucoup plus de mal. Tout son effort pour le bien ne répare jamais une petite parcelle du mal commis. Tout son désir pour le bien ne l’empêche pas d’accomplir tout le mal que lui dicte son maître, l’enchanteur Klingsor. Le bien est le captif du mal dans l’âme de Kundry, et, lorsque l’enchanteur sera vaincu lui-même par une puissance supérieure à la sienne, le bien, dans l’âme de Kundry, sera délivré de l’oppression du mal.